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le pavé, le chemin historique d'arrivée à Hostun.

le pavé, le chemin historique d'arrivée à Hostun.

 C'est un homme jeune, et sa grande jument alezane attaque d'un bon pas la côte de la Vallone.

Il vient dans la froidure de janvier 1837, prendre en charge la cure d'Hostun, que la mort du vieux curé Mussel a laissée sans desservant.

Mais avec cet homme qui vient, et qui est un serviteur de Dieu, avec lui... vient la discorde.

Il grimpe la côte pavée un peu glissante, au milieu de laquelle coule la source qui sort dans un « bacha » devant l'église.Elle va lui paraître bien modeste cette église Saint-Martin, enterrée dans la pente, cernée par le cimetière qui la domine et l'entoure. Certes la cure, survivance aménagée du prieuré est un beau bâtiment, mais pas plus que l'église, depuis la période révolutionnaire, il n'a fait l'objet d'entretien. Il faut remonter à la création de la chapelle des pénitents il y a plus de soixante ans, pour trouver trace de travaux sur les bâtiments religieux.

Le vieux curé Mussel à qui il s'apprête à succéder, mort en novembre précédent, dans les infirmités de la vieillesse, s'est contenté de l'exercice paisible de son ministère. Il avait été nommé ici à l'âge de 66 ans et succédait à l'abbé Romain Ferrand, dont le souvenir, qui ne manqua pas d'être raconté à l'entreprenant abbé Auguste Poullat, c'est le nom du jeune curé, aurait dû le pousser à la modération.

Romain Ferrand était d'une vieille famille de Jaillans. Famille pieuse, un grand oncle prieur de Jaillans, son oncle Joseph était le curé de Saint-Nazaire; en pleine période des cent jours, il obtint la cure d'Hostun.

Mais l'ancien monde était mort, les petits pouvoirs locaux encore trop nouveaux s'entrechoquaient la municipalité, le conseil de fabrique, la confrérie des pénitents... entreprenant et d'un caractère bouillant, le curé Ferrand s'était heurté avec chacun.

La confrérie des pénitents s'était peut-être un peu éloignée du Brévière des Pénitents blancs de Saint-Laurent qui guidait toutes les confréries du Dauphiné; l'élection de son prieur chaque année le Jeudi Saint, donnait lieu à un banquet offert par l'élu, qui fournissait le pain et le vin dans une restitution de la Cène .

Avec le temps, la saucisse traditionnelle, conservée dans l'huile de noix, avait accompagné le pain et l'on était peu économe du vin. La Cène était devenue ripailles.

Ferrand trouva ses libations un peu déplacées dans l'église et proposa la cure pour lieu du banquet.

Le Jeudi Saint de 1818, le curé Ferrand mit le presbytère à disposition de la confrérie.

Mais le transfert des libations d'une vingtaine de mètres trouva une opposition farouche en la personne d'un cabaretier du coin : Jean-Antoine Clave.

Les « Clave », famille venue au 17ème siècle de la paroisse voisine de Meymans avaient acquis une belle ferme aux Cessards, souvent écrit Cessa... comme dans tous les pays de langue latine, on mange la fin des mots dans le patois local.

On le surnommait « Clave-les lunettes », il était négociant, cabaretier dans le village. De la révolution il semblait surtout avoir retenu, une certaine distance avec l'église. Tout de même membre de la confrérie des pénitents, la scrupuleuse application du dogme ne semblait pas être sa priorité, il penchait davantage sur la festivité de la réunion. Le transfert du repas, de la chapelle des pénitents à la cure, distante de vingt pas, le mit hors de lui.

Il menaça de quitter la confrérie, ce que son cousin des Cessards, plus orthodoxe dans sa pratique, lui conseilla vivement.

Il rentra chez lui furieux, enleva sa robe blanche de pénitent et la jeta dans le four à pain qui était allumé. Il ne remit pas les pieds à l'église.

Le curé Ferrand et avec lui ceux qui lui succéderaient, avait trouvé là un ennemi farouche.

Plaintes à l'évêché, accusations diverses, le cabaretier voltairien ne ménagea pas le prélat. Mais le curé qui avait des ennemis dans les débits de boisson, s'en fit un autre avec la municipalité, en essayant de faire payer à celle-ci, des sommes d'entretien qu'elle trouvait un peu salées.

La victoire de « Clave-les lunettes » vint facilement, l'évêché lui vint en aide et muta le curé Ferrand à Jaillans, fief familial, ce qui aurait pu être un refuge.

Ce ne fut pas le cas. Les deux paroisses d'Hostun et de Jaillans se touchent, certains quartiers comme « les plats » ont parfois même au cours de l'histoire hésité entre l'église de l'une ou de l'autre des paroisses. La bise de médisance venue d'Hostun si proche, avait soufflé facilement sur les foyers de la paroisse voisine, Le bouillant curé s'en plaignit à l'évêché, le ton monta, il finit par se défroquer et se laïcisa totalement.Il donna sa soutane et son chapeau à un pauvre dit « Mottet-Lalô » qui vivait dans une mansarde au bord du bois, au sud de la commune vers Beauregard ; c'est ainsi accoutré que le pauvre hère mendiait et dans cette tenue qu'il mourut.

Le ministère du vieux curé Mussel, fut une pause... le jeune curé Poulat allait réveiller « Clave-les lunettes » et bien au delà.

Jeune et entreprenant, Auguste Poulat restructura le conseil de fabrique, écoutant son évêque, il voulut un chœur de jeune filles, il réimplanta les bancs, supprimant des acquis venus de l'ancien régime où des familles de petits notables locaux avaient posé des bancs un peu surdimensionnés... et puis un jour devant son conseil de fabrique il dévoila son plan ... les temps étaient venus de quitter cette vieille église humide et trop petite pour la population et de descendre en construire une autre dans la plaine. Le curé bâtisseur écoutait en cela sa hiérarchie.

Il fallait reconstruire les vieilles églises romanes, l'architecte en vogue dans le département de la Drôme, Mr Dépailly n'en finissait pas de démolir ces vieux édifices pour en construire de plus vastes, de plus aérés.

Dans le sud de la France, des villages entiers quittaient les nid d'aigles, mettaient à bas les vieilles maisons de Dieu, pour en construire de toutes neuves près des grandes routes. On y rebâtissait les maisons dans des villages « rues » qui toutes regardaient la route et le mouvement du monde.

Partout cela se faisait avec enthousiasme, on descendait en chantant les collines des aïeux, on abandonnait les maisons perchées sur des parcelles incommodes de pierres sèches ou fermées dans les vieilles murailles qui ne protégeaient de plus rien.

Partout... sauf à Hostun. La proposition du curé jeta un froid sur le conseil de fabrique, qui jusque-là l'avait suivi sans faillir.

Il avait sans doute compté sur l'appui de Joseph Tortel, sa maison familiale touchait le jardin de l'église où son père aubergiste avait plutôt réussi. Joseph était un lettré, il était unijambiste de naissance. Devant ce handicap terrible, ses parents qui avaient déjà quelques lettres, l'avaient poussé vers l'étude. Il était doué, il devint « instituteur de la jeunesse ». Il avait appris à se déplacer sans l'aide d'aucune canne ni béquille, c'était un miracle d'équilibre sautillant. Si Poulat compta sur l'appui de cet homme intelligent, pour accompagner son œuvre modernisatrice, il ne l'eut pas. Bien au contraire. Joseph, le soir, recopiait les livres des anciens érudits locaux : Dochier et son histoire de Romans, la vie de Bayard, Nicolas Chorier... c'était un homme de l'histoire, la rupture avec le passé, il fut vent debout contre.

Poulat plia, il proposa des travaux au conseil municipal sur l'église, ce fut l'architecte destructeur d'église romane, Dépailly, qui fut choisi, il proposa de démolir partiellement l'ancien bâtiment et de l'agrandir. « Clave-les lunettes » était devenu un élu, toute proposition coûteuse venant d'un ministre de Dieu le hérissait, mais la destruction de l'ancienne église Saint-Martin avait un aspect trop proche de son abandon déjà proposé. Ce fut un nouveau refus.

Mais l'entreprenant abbé, soutenu par son évêque, trouva chez quelques propriétaires tenant des parcelles dans la plaine, un écho favorable à son projet de descente de l'église. Un projet immobilier vit le jour, un village commença à s'édifier, le long d'une rue bien droite, au quartier de Saint-Maurice; on lui inventa une histoire, des ruines de la villa gallo-romaine et où sans doute dans les premiers temps du christianisme une église avait existé, on inventa une église détruite au temps des guerres de religions, souvenir toujours très vif en Dauphiné. Saint-Maurice, un légionnaire comme Saint-Martin, ce serait un saint patron idéal pour la nouvelle église.

La commune n'avait pas cinquante années d'existence, après 1000 ans de mandement et de paroisse, qu'elle allait se fracturer. Parti du haut, parti du bas, les deux Saints légionnaires allaient s'affronter.

Le vent de l'histoire soufflait en faveur du Saint de la légion thébaine. L'église du bas vit le jour. Mais une guerre de cent ans était commencée.

Le parti haut se durcit, on s'opposa à tout, des jeunes gens échauffés dans la nuit du 16 juillet 1847 mirent le feu aux coffrages de bois et allèrent faire un tour à la prison de Valence. Les gens du parti bas voulurent passer en force et créer un cimetière. On enterra dans le champ Dissart à côté de la nouvelle église qui montait, un dénommé Richaud... Le parti haut à qui les urnes avaient donné la mairie, le fit déterrer... Les femmes du bas venaient assister à la messe et emportaient sous leurs jupes les objets du culte. L'abbé Poulat qui logeait dans la cure, y était retenu prisonnier, des hommes armés de fusil de chasse le surveillaient. Il s'évada un soir en montant discrètement sa grande jument, dans l'écurie du presbytère (aujourd'hui un gîte) et la lança au galop à la descente périlleuse du pavé, pour enfin quitter Hostun et se réfugier dans ce Saint-Maurice qu'il avait désiré.

L'évêque vint pour essayer de calmer les esprits, on le caillassa. Finalement le préfet de la Drôme envoya l'armée pour rétablir l'ordre.

Le village de Saint-Maurice fut rapidement un succès ; les commerces, les artisans, s'y installèrent et dans cette région où les villages étaient inexistants sous l'ancien régime, Saint-Maurice prospéra.

La démographie qui fait l'histoire, lui fit très vite gagner la bataille politique, et le parti bas, prit le pas définitivement sur le parti haut.

Le jeu politique local jusqu'à la dernière moitié du 20ème siècle fut mené par le village neuf, le temps du haut était passé. Il fut congelé par le temps.

En haut, on survit en s'opposant, à peu près à tout. Tout d'abord à l'église qui avait trahi. On tenta le protestantisme, cela ne prit pas, c'était un jeu ancien qui avait fait son temps, on ne punirait pas les catholiques en passant en face, on n'était plus au 16ème siècle. Une nouvelle religion arrivait le socialisme, on l'embrassa. L'anticléricalisme qu'il véhiculait dans cette première moitié du 20ème siècle fut une jubilation. Dans l'entre-deux-guerres, au moment où l'on devait faire maigre, une des principales familles du lieu sortait de l'huile de noix, «  la sacr' pute », la grosse saucisse faite avec le nez du cochon, c'était jour de ripailles. Mais on se battait quand même pour se marier, se faire baptiser ou mourir dans l'église du haut et les Véhier tiraient la cloche dès les matines.

Quand ma grand-mère institutrice fut mutée à Hostun et s'y installa en achetant les biens d'Ezingeard, les socialistes hostunois du haut virent ce qu'était le « vrai socialisme pratiquant ». Ma grand-mère Raymonde Brochier, épouse de Magenti Serre-Barret, fille d'un professeur franc-maçon et socialiste, petite fille fille d'un juge de paix, issu du milieu paysan, qui avait été aussi maître d'école et surtout socialiste de la première heure, se déplaçait avec une famille d'émigrés italiens, dont elle scolarisait les enfants et trouvait un travail au père dans chacune de ses mutations. Elle faisait faire du théâtre aux enfants et poussait au travail scolaire... Les socialistes du haut ne se reconnurent pas et n'adhérèrent guère ses valeurs, eux si fort attachés à la propriété, à la famille. Ce qui importait dans la politique, c'était de s'opposer.

Dans la deuxième moitié du 20ème siècle, les historiens locaux et même la prestigieuse revue « les annales » grâce à un historien anglais, se penchèrent sur ce phénomène hostunois.

On eu droit à toutes les analyses, les marxistes y virent le choc des petits propriétaires de coteaux contre les plus riches tenant la plaine, oubliant de regarder qui étaient ces gens du parti haut, fort bien placés dans la liste des « plus forts imposés ».

L'historien anglais, vu de loin, approcha davantage la réalité. Il comprit que la religion était au cœur du problème et que c'est la rupture avec le passé qui avait été insurmontable.

Pays catholique, Les Hostun avaient été une famille de soldats lettrés, proche de la ligue. Glandage terrible capitaine protestant était venu y massacrer les paysans et attaquer leur château, la croix rouge au quartier de la Teppe en est une trace. Pas plus de 20 ans avant la révolution, les chefs de famille fondaient une chapelle des pénitents, on ne comprit pas que l'église veuille s'en aller de là où était sa place de toujours.

La tentative de protestantisme se joua lors d'un débat public où les pasteurs protestants étaient présents pour exposer les principes de leur foi. Giraud, vieille famille du lieu, maréchal-ferrant pendant 2 siècles sous l'ancien régime, devenus des notaires et médecins, Giraud prendra la parole pour conclure contre le pasteur : « la religion protestante est bonne pour vivre, elle ne vaut rien pour mourir ».

Rompre avec Rome, c'était la rupture avec les ancêtres, c'était déjà sans doute ce qui avait été impossible dans l'idée de démanteler église et cimetière.

Avec le temps on se sortit de la situation comme on le pouvait, on en parla comme d'un « Clochemerle local », une pagnolade... qui était bien finie. Mais les morts gouvernent les vivants. Quand l'administration locale le pouvait, en cette presque fin de vingtième siècle elle poursuivait

l' œuvre de descente... On supprima le nom de Saint-Maurice pour lequel on s'était tant battus, on oublia le Saint de la légion thébaine, pour ne mettre que le nom de la commune sur le panneau à

l'entrée du village. C'était l'ultime légitimité à exister.

Oui mais voilà, plus loin dans la plaine, dans le sud, les beaux villages, que l'on avait voulu modernes, bien plantés sur des routes qui étaient l'avenir, ne voyaient plus défiler que des véhicules et camions. La modernité chantée de 1850 était infréquentable.

Dans certaines de ces communes, des associations de locaux fouillent les ronces et les arbres qui poussent dans les ruines des villages que leurs ancêtres ont abandonnées, et vont visiter avec regret quelques cailloux, témoins d'un passé qu'ils idéalisent.

Les Hostunois entreprenants qui avaient bâti Saint-Maurice, ne pouvaient pas savoir qu'ils ne faisaient là qu'un premier lotissement réussi.

Depuis la fin du 20ème siècle, des conseillers avisés susurrent à l'oreille des Présidents de la République, que le temps des nomades est venu.

Les bâtisseurs du 20ème et du 21ème siècle ne sont ni les descendants, ni les héritiers de l'enthousiasme qui a vu monter les premières maisons du village.

Ce sont les promoteurs immobiliers, sans d'autre volonté que la rentabilité maximale.

 

Ne plus essarter, mais faire souche, avaient dit les moines noirs de Saint-Benoît. On ne fait plus souche dans les campagnes, on y passe.

Les maisons sont vendues et achetées avec la durée d'usage d'une automobile. La campagne, c'était une mémoire, celle des gens ayant vécu ensemble pendant des générations... En cela, les exaltés du parti haut, furent des réactionnaires, en déterrant le cercueil du pauvre Richaud, ils avaient tenté d'arrêter l'histoire .

L'histoire regardait vers le bas, vers la route, vers ceux qui allaient partir et ceux qui viendraient, mais c'est ceux-là qu'elle allait pourtant dévorer en premier.

Le cimetière du champ Dissard, où l'on s'était battus pour la première sépulture, le 20ème siècle le livra sans état d'âme aux engins, qui broyèrent les croix de fer et les pierres tombales des pionniers. Dans ce pays où l'on donne au béton l'équivalent d'un département par an, il faut sacrifier sa part.

Descendre, abandonner l'église, les sépultures des aïeux, c'était commencer à mourir, la fin d'une société agraire de 1000 ans.C'est cela ,qu'avaient pressenti les gens du haut.

 

les chapitres précédents sont là

ce qu'il reste de nous ( 1 ) http://terpant.over-blog.com/2016/08/ce-qu-il-reste-de-nous-1.html

ce qu'il reste de nous ( 2 ) http://terpant.over-blog.com/2016/08/ce-qu-il-reste-de-nous-2.html

Ce qu'il reste de nous (3)  http://terpant.over-blog.com/2016/11/ce-qu-il-reste-de-nous-3.html

 

 

page titre du Bréviaire des pénitents, à l'origine pour la confrérie de Saint Laurent de Grenoble, en usage ,dans beaucoup de confrérie du Daphiné dont celle d'Hostun

page titre du Bréviaire des pénitents, à l'origine pour la confrérie de Saint Laurent de Grenoble, en usage ,dans beaucoup de confrérie du Daphiné dont celle d'Hostun

A gauche la chapelle des pénitents, à droite la cure, la traversée de la cour qui fâcha Clave-les-lunettes

A gauche la chapelle des pénitents, à droite la cure, la traversée de la cour qui fâcha Clave-les-lunettes

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