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Ce qu'il reste de nous (3)
Les Berthonettes, souvenir des Royannez-berthonnet, sous la neige hiver 2016.

Les Berthonettes, souvenir des Royannez-berthonnet, sous la neige hiver 2016.

Sous Louis XV, un voyageur venant de Grenoble, et longeant la montagne pour aller vers Chabeuil, passant à Hostun, note ceci :« je laisse sur la gauche l'église d'Hostun ».

Il passe dans la plaine, sur la route qui vient de Saint Nazaire, il ne fait pas de halte, où la ferait-il ? s'il voit une église à flanc de montagne, il ne discerne pas de bourg, pas de village. Ici on ne vit pas ensemble dans un habitat aggloméré. Chacun vit sur son bien. Dans sa maison, en petits quartiers, comme les Coqs , les Marchands, les Guerbys, les Perrets, la Fournache, les Merles, les Cessards...mais pas d'idée de bourg principal, de village où la vie se concentre, où les activités se rassemblent. Chacun est chez lui. comme le seigneur en son château, le paysan est dans sa maison, grande ou modeste, lui aussi est dans son domaine.

Il ne faut pas s' étonner qu'après la Révolution, plus qu'un autre peut-être, ce monde va se fracasser . Au moment où les évêques, pour être modernes, appelleront à détruire les vieilles églises romanes, comme celle, qui ici était la seule borne, qu 'apercevait le voyageur. Quand on leur dira qu' il est temps de la démolir, ou d'en construire une en plaine, avec un village neuf, tiré au cordeau, on déclenchera ici une guerre terrible. On fracturera les familles, on caillassera l' evêque venu prêcher cette modernité, on tentera de bruler le nouvel édifice, on déterrera des morts.

Tentative ultime, souvent grotesque de faire survivre ce qui déjà était condamné, car en cette fin de 19e siècle, des forces bien supérieures à celles des petits potentats locaux s'étaient mis en branle. Après un siècle d'incertitude la République s'était affirmée. Les pères ne pouvaient plus transmettre leur petits biens, en pensant à leurs survies, à l'enfant, ou aux enfants les plus capables, qui à leur tour, un jour... l'égalité républicaine devant l'héritage, explosait les propriétés, l'exode commençait.

Et ils sont tous partis, les plus faibles en premier : la masse des journaliers, les domestiques que personne ne pouvaient plus employer. Ils sont devenus le prolétariat que la ville engloutit. Presque en même temps qu’eux les notables, qui n’avaient plus les moyens de régner, les anciens rentiers de la terre, les notaires...tous disparus, et qu'importe la grande guerre arrivait, c'est toute l'Europe qu'elle mettrait à bas.

Mais il reste d'eux, pour ceux qui savent, leurs noms, attachés à leurs anciens biens.

S'ils ne sont plus, la terre a conservé les patronymes de ses anciens maîtres.

Les plus vieilles familles, ceux qui dès le moyen-âge étaient là, bien avant les actes paroissiaux des curés, On les trouve dans les chartes, les terriers, les actes d'arrentement que les seigneurs font quand ils louent des terres. on y est bien surpris dans ces vieux parchemins, de voir des conditions sans commune mesure avec celles que feront à leurs fermiers les héritiers de la Révolution. Impitoyables bailleurs, qui réclament la moitié de tout, des œufs des poules, aux fruits du poirier.

Les seigneurs d'Hostun au XIVe, XVe siècle louent des terres «  à vie » avec une somme forfaitaire, que l'on peut différer en cas de mauvaise année, contrat que l'on peut transmettre à un enfant. Parfois ce sont même des femmes qui sont les interlocuteurs du seigneur, comme Catherine Royannez citée avec Pierre son mari en 1314, pour une quittance de 200 livres, ce qui n'est pas rien, ou Guitte Royannez qui signe en son nom en 1351, une reconnaissance à Jean d'Hostun seigneur du lieu .

Les Royannez n'ont pas franchi la fin du vingtième siècle, mais de nombreuses familles dont la mienne en sont les descendants. Deux maisons portent leur nom, l'une aux Cessards, une autre aux Perrets, un chemin de montagne :la draye de la Royannèse, et pas si loin de la draye : « les Bertonnettes » qui du temps de son propriétaire était donné au quartier de Mauvert (on dit Mauvé) cette bâtisse a hérité non pas du patronyme, mais du sobriquet de l'une des branches de cette famille les « Royannez- Berthonnet ». Dans le cartulaire de 1725, le propriétaire de l'époque Jean, vit dans sa maison quartier des Ferrands, il possède sur la paroisse 50 sétérées de terres et bois. En « Mauvé » il a deux « chabottes » ce ne sont donc pas de vraies maisons, mais des bâtiments d'appoint pour s'abriter quand on monte faire les foins, c'est ensuite qu'elles deviendront fermes, et endosseront le sobriquet des Berthonnet, qui se le transmettent depuis au moins quatre générations, Jean, son père Antoine, son grand-père Claude, et avant lui Estienne, sont tous dit Berthonnet, et avant peut-être...

Au même moment existent des Royannez-Plat (du nom du quartier où ils vivent) des Royannez- Colin, il y eut des Royannez-Caquetat, des Royannez-Chevalier... plus la lignée est ancienne, plus elle se subdivise en branches définie par sobriquet, comme il y a des Bourbons-Parme ou Sicile.

Certaines familles peu nombreuses, moins puissantes, n'apparaissent parfois qu'une seule et unique fois dans les premiers actes paroissiaux, dans un acte notarié, avant que le temp ne les engloutisse . Mais leur nom est toujours là, comme « les Carattes » bout de forêt entre 600 et 700 m d'altitude, et dont seule, Françoise Caratte, fille de de feu Mathieu, épouse le 9 avril 1617, Ennemond Loire, mais le nom des Carattes parle à tout chasseur, ou bucheron encore aujourd'hui.

Et ces deux frères Coigner, cités dans une transaction avec le seigneur en 1630, pour parler des droits sur les grains et les moulins, qui ne laisseront pas de descendance, mais leur nom restera attaché à l'une des rares fermes de la plaine (on dit « lé cogné » )

Et puis il y a ceux qui n'ont rien laissé, pas la moindre trace écrite, pas la moindre citation, ils étaient là, ils n'ont pu avoir la descendance espérée, le temps les a engloutis.

Il ne reste plus que l'érudit, pour les débusquer, car les lieux ont gardé leur souvenir.

Quand on est au coqs (aux cau) si l'on prend ce chemin qui reliait les châteaux d'Hostun et de la Baume, où je suis, que l'on se dirige vers la maison des Matras-Musson, la roche qui surplombe, qui souvent sert de belvédère à une buse ou un chamois, et dite « la roche Bretaud », les champs dessous et la maison, aujourd'hui une ruine, lorsque les Matras-Musson y vivent sont dit « la Bretaudière » mais le scribe l'écrit Bertaudière, il traduit en français ce qu'il entend, il sait que Bretaud, c 'est Bertaud, comme on dit Trapan, pour Terpant. Il y eu donc une famille Bertaud, sans doute au Moyen-Age, avant le temps des actes paroissiaux, son nom en patois reste accroché à une roche, sur laquelle parfois, veille une buse ou un chamois.

Pour la maison, personne ne disait plus la Bretaudière, on disait la maison blanche, à cause de l'enduit le plus récent. Je la vois dans mon souvenir, ou Maurice Vitte pèse sur son arraire. Mais les vieux disaient plutôt « la Mussoune » car dans la mémoire Bertaud fut effacé par Les Matras-Musson, qui vécurent là longtemps.

Musson, là encore, aucun d'entre eux ne s'entendit jamais nommer ainsi, c'est une traduction. Le clerc sait que dans la langue qu'il entend, le « ou » doit devenir « on » en français, le « i » doit devenir « in », les Geri, s'écrivent Gerin, les Matras-Mussou, deviennent sans qu'ils le sachent, dans les textes, des « Mattras-Musson », mais les vieux eux donnent le vrai son à leur maison, elle est « la Mussoune . »

Je la vois dans mon souvenir avec Maurice Vitte, car c'est la première maison derrière l'église, elle a encore un toit dans mon enfance, mais c'est une ruine, comme toutes celles qui jalonnent le chemin qui relie les châteaux.

La proximité avec l'église fait que les Matras-Mussou, furent souvent des sonneurs de cloches, ils devaient traverser plusieurs fois dans la journée, « la pioulà » ce champ que Vitte retourne, et qui en leur temps appartenait à l'église, pour les matines, pour midi, pour les vèpres.

Est-ce un hasard si le dernier des sonneurs, Amédée Véhier, dit Mousse est né là, à la Mussoune ?

Son grand père était né à « l'eau-basse », au pied du « pré de cinq-sous », côté Rochechinard, son père, Jean Véhier, avait épousé une fille du coin, Constance Ruchon. Il vécurent là, à La Mussoune ou Amédée le dernier des enfants naquit, dehors les perdrix rouges, aussi disparues aujourd'hui que les Matras-Mussou où les Véhier, buvaient au bacha des bêtes.

Le curé résidait désormais à Saint-Maurice, le village du bas, qui n'avait qu'un demi-siècle d'existence. Mais comme en haut on ne renonçait pas à maintenir les usages, on proposa à Jean Véhier de devenir le sonneur. Pour le séduire on lui proposa de loger au presbytère désormais vide. Le père Jean s'y installa, il planta dans la cour un tilleul et un cerisier qu'il greffa, en échange de sa tâche, il fut logé gratuitement.

Le contrat, fut héréditaire, deux générations traverseront la courette, puis la chapelle des pénitents, pour tirer les cordes lustrées. Quand Vitte pousse l'araire, ils sont deux fils, a habiter la cure, splendide bâtiment hérité du prieuré de Saint Benoit.

Amédée dit «le mousse » le cadet, et Éloi plus agé.C'est souvent Éloi, dit « le Loi » qui tire la cloche.

Mais déjà, le temps n'est plus où l'on meurt chez soi, Éloi l'aîné ira terminer sa vie de chasseur de grives, dans une maison de retraite de la ville, Amédée dit Mousse, terminera là, un jour de midi, après que la cloche eut sonnée. Je le trouverai à sa table, dans ce qui était la grande cuisine des moines noirs, la tête penchée, l'attaque cérébrale ne lui laissera qu'une chance, celle de finir chez lui, dans la maison de son père.

 

Le cerisier a disparu, mais le tilleul de Jean Véhier est toujours là.

 

les chapitres précédents sont là

ce qu'il reste de nous ( 1 ) http://terpant.over-blog.com/2016/08/ce-qu-il-reste-de-nous-1.html

ce qu'il reste de nous ( 2 ) http://terpant.over-blog.com/2016/08/ce-qu-il-reste-de-nous-2.html

 

Ce qu'il reste de nous (3)
Ce qu'il reste de nous (3)
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