Une semaine après le carnaval, alors que les touristes ont déserté la ville et que seuls quelques irréductibles français et japonais battent encore les pavés de la Sérénissime, le vice consul de Patagonie et son épouse posent leurs valises diplomatiques, dans une suite de l'hôtel « ai due principi » bradée pour l'occasion, faute de fréquentation.
Comme but du voyage ,renouer les liens entre le royaume de Patagonie et la ville des doges. Notre consul général Jean Raspail ayant longuement séjourné dans la cité dans les années quatre-vingt- dix , séjour qui a comme trace un livre: « Vive Venise » .
Première étape du voyage, Sant 'Alvise sestière du cannaregio.
C'est là, à l'extrême bout de Venise, que Jean Raspail décrit comme étant presque la campagne, ou du moins la Venise populaire, qu'il avait pris quelques habitudes. Une petite trattoria pour déjeuner, quelques bancs pour prendre le soleil, des rendez-vous tellement réguliers, qu'il assista en son temps à l'enterrement d'une vieille dame du quartier : « ché la povéra é partita per San Michele » ,formule d'usage.
Il faisait très beau place Sant' Alvise, qui est effectivement un bout du monde vénitien. Je n'ai pas retrouvé de trattoria à proximité, il faut croire qu'elle n'a pas tenu le choc du 21 ème siècle. Et sans doute beaucoup de « povera Maria » sont allées vers San Michèle, car le quartier était bien désert. Mais le charme du lieu a opéré, la place ensoleillée était déserte. L'église pas tout à fait terminée comme beaucoup d'autres dans la cité, subissait une petite restauration du choeur; les liens ont été renoué avec le Royaume.
Au retour, une halte par Santa Maria dei Miracoli. Une église construite autour d'une peinture d'une XVe siècle, placée à l'origine à l'angle de la maison d'un propriétaire du quartier. Cette vierge se mit à faire des miracles, on lui édifia une église autour, et le petit tableau est aujourd'hui au coeur du bâtiment.
Au fil des ans, c'est dans le domaine du mariage que les miracles furent le plus attestés, c'est donc pour les vénitiens le lieu privilégié pour se marier.
Jean Raspail assure avoir vu une mariée fort laide, devenir belle le temps d'une prière dans le choeur de Santa Maria dei Miracoli. Je ne suis pas resté assez longtemps pour assister à un mariage, mais un très vieux couple gravissait encore les degrés qui montent au choeur, vers le tableau de la vierge et l'enfant quand nous sommes partis.
Nous avons laissé le miracle se faire dans l'intimité.
Torcello
Une visite s'impose à Venise, celle de Torcello, la Venise des origines.
Au moment de l'invasion des Lombards, guidée par son évêque la population du continent se réfugie sur cette île et y fonde la première cité.
Il y aura dix mille habitants au dixième siècle, mais la malaria décime les vénètes ,les canaux s'ensablent,et la ville sera quasiment abandonnée.Les survivants s'installent à Burano ,toute proche, Murano, et vers le Riva altus qui deviendra le Rialto. De cette première cité dont tout s'est perdu, il reste un ensemble formidable: une cathédrale des premiers temps du roman, une église en croix grecque, et deux petits palais. Mais le plus touchant, ce sont sans doute ces statues éparses, qui feraient la gloire de n'importe quel musée de province, qui là cale un cerisier, décore une vigne, les linteaux ornementés transformés en banc public...
Dans les canaux de Torcello pagaient dans des gondoles les mêmes fantômes que dans ceux de Patagonie, ceux qui hantent les mondes disparus.
Escale à Burano, « trattoria da romano », citée par le consul général,comme une halte conseillée.
Très belle auberge aux murs garnis de tableaux,et au personnel stylé, un peu tard pour déjeuner , mais l'heure du vrai chocolat (épais comme du saindoux mais fort bon).
Le garçon qui me sert une part du traditionnel gâteau aux amandes ,me voyant français malgré mon application à parler italien, me vante son risotto que dit-il, Le crique gastronomique français "Pétitrenaud", que je dois connaître, a vanté dans l'un des ses guides.
Alors là, je ne me prive pas de lui envoyer dans les dents, que si je suis là, cela n'en revient pas au mérite du dit "pétirenaud" mais bien parce que Jean Raspail, consul général du Royaume de Patagonie a écrit en 1992 dans « vive Venise » que ses « spaghetti alle vongole » sont les meilleurs de la lagune.
Les choses remises à leur place nous reprenons le vaporetto pour Venise.
Venise n'est pas en Italie dit la chanson et c'est vrai. Les vénitiens sont des gens du nord,venus s'isoler dans la lagune, leur accent n'est pas chantant, ils accentuent avec énergie la dernière syllabe. Venise est une ville plus germanique qu'italienne.
Jean Raspail avait repéré le goût des vénitiens pour les chiens. Il avait reconnu certains de ces cabots à la queue ridicule, tellement repliée qu'elle leur caresse le dos. Ils sont déjà là sur les toiles de Canaletto ,on en croise toujours au bout d'une laisse ,tenus par des dames élégantes qui ramassent avec méticulosité la moindre déjection.
Un napolitain doit s'effrayer ici de l'absolue propreté des rues.
Nous nous sommes ensuite perdus au hasard des rues de Venise,de la pointe du Dorsoduro au vieux ghetto,car se perdre et la seule façon de voir Venise, et au gré des ruelles parfois le nom d'un personnage de sept cavaliers s'affichait, fondamentari Vénier, fornace Vénier...
Lorsque nous sommes partis, la neige commençait à recouvrir les gondoles, Venise prenait un air de Valduzia.
Jacques Terpant
vice consul en mission diplomatique à Venise
(opération Commynes)
Photos :jocelyne Terpant